
JULIETTE DUMAS
L' interview | MY MODERN MET
par Jessica Stewart, le 7 Novembre 2021
L'artiste francaise, Juliette Dumas produit un travail qui est profondément empreint par sa préoccupation pour notre environnement. Utilisant des medias mixtes, Dumas a créé un travail puissant qui projette de la force et de l'espoir pour le futur. En particulier, sa série des Caudales de Baleines (Whale Flukes) fut un tournant dans sa démarche d'artiste changeant son regard vers une vision plus constructive pour ce qui semble être une situation désespérée.
Avec ses gouaches et argile, Dumas crée un regard dynamique sur la caudale d’une baleine. Cette partie de son anatomie porte les cicatrices des attaques d'autres prédateurs ainsi que les enchevêtrements des filets de pêche et collisions avec les bateaux. Ces cicatrices sont le testament de la résilience des baleines et nous rappellent notre devoir de protéger ces mammifères précieux.
Nous avons rencontré Dumas afin d'apprendre ce qui inspire son art-conscient de l'environnement, comment les baleines l'ont inspirée et sa technique à base d’argile et de pigments. Voici l'interview exclusive pour My Modern Met:
La situation inquiétante de notre planète semble être une grande préoccupation dans votre art. Quand avez vous commencée a être concernée par l'environnement?
Dumas: toute petite, j'ai lu "L'éducation de Little Tree" par Forrest Carter, c'était l'histoire d'un jeune indien Cherokee à qui on apprenait à établir un rapport de respect avec la nature autour de lui. Ce livre a eu un impact important sur ma façon de penser et m'a fait réaliser qu'il manque quelque chose dans notre culture et notre relation avec l'environnement.
Cette préoccupation a t'elle toujours été présente dans votre art ou l'avez vous incorporée lentement au fil du temps?
Cela a toujours été partie de mon art, mais ma façon de l'intégrer dans mon travail a changé avec le temps. En 2013, j'ai commencé une série d'installations éphémères intitulées "Stratégies de Résistance". Des rochers lourds tiraient sur des bâches en plastique fin tenues par des centaines de petits clous. C'est seulement grâce au grand nombre de clous se partageant la charge du poids que l'installation pouvait tenir. C'était un hommage à toutes les personnes qui se mobilisaient pour résister à la destruction de l'environnement.
J'ai également présenté une série de "Ice Paintings" (peintures de glace), qui étaient des blocs de glace présentés au mur comme une peinture monochrome qui fondrait lentement pendant la durée de l'exposition.
Avec ces pièces, j'exprimais mon inquiétude et mon anxiété face à l'impact humain sur le climat. J'ai réalisé que je ne voulais plus projeter davantage d'anxiété et de négativité à travers mon travail, alors j'ai décidé de remplacer cette énergie et celle de mon message pour faire le contraire.
C'est à ce moment-là que j'ai commencé les "Queues de Baleines" (Whale Fluke Paintings 2017) pour créer une œuvre enracinée dans l'espoir et la résilience car je crois que tout est encore possible, surtout une fois que nous réalisons que nos pensées créent notre réalité.
A l'époque, j'étais très intéressée par la tradition hawaïenne du Ho'Oponopono qui signifie « corriger » et « réparer ». C'est un rituel de purification réalisé pour rétablir l'équilibre d'une situation devenue déséquilibrée. Je voulais peindre une icône représentant ce que nous pouvons faire avec ces forces puissantes. L'image d'une queue de baleine m'est venue. J'ai réalisé au fil du temps toute la signification symbolique de cette image.
Comment faites-vous pour sélectionner les matériaux que vous utilisez dans vos oeuvres ?
Quand j'étudiais la peinture, j'ai réalisé que je n'aimais pas utiliser l'acrylique ou la peinture à l'huile. Les acryliques sont essentiellement du plastique et l'huile a tendance à changer la couleur du pigment que vous utilisez. J'ai toujours été attirée par les peintures à l'eau non acryliques, comme la gouache, mais les quantités que l'on peut acheter en magasin sont si petites que j'ai commencé à fabriquer ma propre peinture en utilisant des éléments organiques, comme des gommes dérivées d'arbres et d'algues, des poudres minérales, des pigments de plantes, des cires d'abeilles, etc. Surtout, je garde mon atelier exempt de tout toxique, pour ma propre santé et parce que tout finit dans l'eau quand on lave ses pinceaux.
Dans le cas des Queues de Baleines (Whale Flukes), pouvez-vous discuter du processus créatif de l'utilisation de l'argile ?
Je suis allée visiter les grottes préhistoriques de Lascaux en Dordogne, en France, et j'ai ressenti une profonde résonance avec la façon dont les humains, à l'époque, avaient déposé des pigments naturels sur les murs et les avaient sculptés avec leurs doigts. J'ai pensé que ces deux techniques combinées – la peinture et la sculpture – avaient un résultat très puissant. C'est alors que je me suis mise à créer une surface similaire pour mon travail.
L'argile est fascinante car vous pouvez la réactiver avec de l'eau autant de fois que vous le souhaitez, et elle a une douceur et une épaisseur similaires à la peau. J'ai développé ma propre technique qui m'a pris des mois d'essais et d'erreurs. Chaque tableau est préparé avec de nombreuses couches d'argile et de pigments. Quand vient le moment de sculpter, c'est une intéraction très physique avec la surface. L'utilisation de l'argile en peinture est ancienne. On en trouve dans les icônes dorées à l'or, où les nombreuses couches sous l'or sont préparées avec de l'argile mélangée à de la gélatine.
Comment les baleines, parmi les espèces animales, vous inspirent-elles de manière créative ?
Les baleines m'inspirent pour plusieurs raisons. Premièrement, elles ont un énorme pouvoir émotionnel. Vous pouvez le sentir lorsque vous êtes à proximité d'une baleine. C'est comme un halo d'amour pur et d'énergie, immensément guérissant. Les Hawaïens les appellent traditionnellement « Koholas », les gardiens de l'énergie sacrée. Elles sont visibles avec une grande sphère de Mana (pouvoir spirituel) autour d'elles.
Deuxièmement, lorsque vous regardez dans l'œil d'une baleine, vous êtes le témoin d'une conscience bien plus grande que la nôtre.
Comme le dit Nan Hauser, la célèbre chercheuse sur les baleines basée aux îles Cook, « elles savent quelque chose que nous ne savons pas… et nous voulons savoir !". Cette créature ancienne perturbe le mythe selon lequel les humains sont l'espèce la plus « intelligente » et « évoluée » sur Terre.
C'est intéressant pour moi parce que beaucoup de nos problèmes réels viennent de cette idée fausse.
Qu'espérez-vous que les gens retiennent de votre œuvre ?
J'espère que les gens peuvent ressentir l'énergie des peintures. J'espère rendre hommage aux baleines pour leur rôle important dans notre écosystème et leur signification spirituelle dans les philosophies anciennes. Aussi, à travers ces peintures, j'essaie de raconter une belle histoire de conservation.
Les baleines à bosse sont toujours présentes dans nos océans car elles étaient protégées par la sensibilisation du public avec le mouvement "Save the Whales" qui, démarré en 1972, fut le premier moratoire international sur la chasse commerciale à la baleine. Aujourd'hui, les baleines ont encore besoin de notre protection continue.
Pourquoi pensez-vous qu'il est important pour les artistes de s'impliquer dans des causes auxquelles ils croient, comme l'environnement ?
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire pour un artiste de s'impliquer dans des causes pour apporter quelque chose de précieux à son travail.
Quant à l'environnement, les artistes peuvent changer notre regard sur la nature. Le critique d'art français Pierre Restany a écrit un important manifeste d'art en 1978 appelé le Manifeste du Rio Negro (Rio Negro Manifesto). Dans ce document, il exhorte les artistes à porter une grande attention à la nature, à développer une compréhension et une parenté avec elle.
Les humains ont l'énorme capacité de créer. Quoi que nous créions, nous l'envisageons toujours en premier, comme un plan. Si nous ne sommes pas capables d'imaginer un avenir sur une planète harmonieuse, comment pouvons-nous éventuellement marcher vers cette vision ? Je pense que les artistes peuvent prendre ce rôle très au sérieux et projeter de nouvelles images pour un monde dans lequel nous voudrions réellement que nos générations futures vivent.
JULIETTE DUMAS
(b. 1987 in Paris) Lives and works in the Fontainebleau region, France
SOLO EXHIBITIONS
2020 DELPHES TALE, Silas Von Morisse gallery, Thomery, France
2018 ANGELS, Silas Von Morisse gallery, New York, NY
2016 NO SAFE HARBOR, Silas Von Morisse gallery, New York, NY
2015 WINTER STUDIES, Kunstverein Gaestezimmer E.V, Stuttgart, Germany
GROUP EXHIBITIONS (selection)
2025 TERRA FIRMA, Clara Darrason, Paris, France
2024 STRATEGIES DE RESISTANCE, Poush Centre d’Art, Paris, France
2024 THE GATEWAY, La Crypte de Grez, Grez-sur-Loing, France
2024 CONTEMPORARY WESTERN ARTS, Cody, Wyoming, USA
2020 HOLLY HUNT, Los Angeles, CA
2019 NEUEHOUSE, permanent painting exhibition, New York, NY
2018 MORCEAUX CHOISIS, galerie Bubenberg x The Chimney, Paris
2018 ENDNOTES, The Chimney, New York, NY
2017 LES SILENCES DE LA FUMÉE, Hjalteyri, Iceland
2017 UNSEEN HAND, Knockdown Center, New York, NY
2017 ‘2020’, The Chimney, New York, NY
2016 INCANTATIONS, The Chimney, New York, NY
2016 REFLEXIONS ON FAILURE, Radiator Gallery, New York, NY
2015 AD HOC, La Station, Nice, France
PUBLIC COLLECTION
Since 2019 : PERMANENT COLLECTION OF TEMPLE UNIVERSITY, New Charles Library, gift of Dennis Alter, Philadelphie, PA
PRESS
2022 PLANET TIMES KOREA, Juliette Dumas interview by Jiyoung Kim
2021 MY MODERN MET Juliette Dumas’ Evocative Mixed Media Paintings of Whale Flukes, par Jessica Stewart
2019 ART SPIEL Juliette Dumas Whale Flukes paintings at The Neue House New York, par Etty Yaniv
2018 ARTCRITICAL Featured item from THE LIST: Juliette Dumas at Silas von Morisse, par David Cohen
2018 HYPERALLERGIC, Whale paintings evoke the Giant mammals’ suffering and scarring, par Peter Malone
2018 DELICIOUS LINE, Juliette Dumas “ANGELS” reviewed by William Corwin
2018 WALL STREET INTERNATIONAL, Juliette Dumas. Angels
2018 ARTCRITICAL Featured item from THE LIST: Juliette Dumas at Silas von Morisse
2015 REVUE ZERODEUX, “Ad Hoc” par Elsa Guigo
2015 ART IN AMERICA, March Issue, “Notes From Inside the Black Box” par Vera Dika
2015 Vaihingen & Möhringen, “Wasser und Folie in verschiedenen Zuständen” par Sabine Schwieder
NOMINATIONS
2024 Nominated for Art in the Sea prize of the Jacques Rougerie Foundation
2019 HYPERALLERGIC : ANGELS in the top 15 best shows of the year in Brooklyn
2015 Artist residency Ad Hoc, La Station, Nice, France
2013 Nominated for the Clare Rosen & Samuel Edes Foundation Prize for Emerging Artists by the Painting and Drawing department of the School of the Art Institute of Chicago
2009 Artist residency, Festival Grandeur Nature, Ristolas, France
EDUCATION
MASTER OF FINE ARTS, School of the Art Institute of Chicago (SAIC) 2010-2013
DIPLÔME NATIONAL D’ART PLASTIQUE, Villa Arson, Nice, France 2007-2010